Le chasseur de trésor

Ce texte est le premier d’une série où j’utilise des archétypes de la science-fiction, à ma façon. Ça m’amuse pas mal.

ChasseurDeTresorIllustration d’Ervin www.pinceauxetlatablette.com

Ulrich grogna avec un mélange d’irritation et de dégoût quand le sol s’effondra sous son pied et qu’il s’enfonça jusqu’au genou dans le métal pourri.

Il retira sa jambe du trou avec d’infinies précautions. Le métal avait beau être prêt à se désagréger, il restait parfois des pièces solides, et la moindre aspérité pouvait déchirer sa combinaison. Alors il serait dans de beaux draps.

Il s’assit sur ce qui ressemblait au nez arrondi d’un vaisseau et reprit son souffle. S’il avait pu masser ses reins douloureux dans sa combinaison ! Curieux comme tout effort en apesanteur était épuisant. Il se rappelait que dans sa jeunesse l’apesanteur lui apparaissait comme un espace de sérénité, d’apaisement où tout serait facile. Et puis il avait quitté la Terre et connu l’épuisement des mouvements sans pesanteur.

Le paysage était tout de même magnifique. Au-dessus de lui flottait Horus, une géante gazeuse orangée striée de jaune, éclatante dans la lumière intense de son soleil blanc. Il pouvait apercevoir une lune, Isis peut-être, ou Hathor, loin sur sa droite. Horus avait une bonne dizaine de lunes mais il était bien incapable de les identifier, et encore moins de les nommer.

La masse énorme de la planète au-dessus de lui était vertigineuse. Il lui semblait qu’il tombait vers elle, et le flottement que lui autorisait son ancrage magnétique accentuait cette impression. Mais cela ne le dérangeait pas. Au contraire, il aimait cette sensation de chute libre interrompue. Cela l’amusait fort de constater que l’esprit humain restait incapable d’appréhender l’espace. Malgré toutes ses connaissances et tout le temps passé dans l’espace, son instinct lui disait qu’une si grosse masse ne pouvait pas être au-dessus de lui, donc elle était en dessous et donc il tombait vers elle.

Ulrich détourna les yeux. De part et d’autre de lui s’étendaient les Anneaux d’Horus. Les débris d’une armada remontant à une antiquité inconcevable s’étaient agrégés sous l’effet du temps et du ballet complexe exécuté par la géante gazeuse et ses lunes pour former des anneaux, tout à fait semblables aux anneaux de Saturne. De loin en tout cas.

Le métal des vaisseaux avait blanchi sous l’effet des radiations, et brillait comme le squelette de quelque bête exotique inconnue. Des pièces émergeaient çà et là, encore reconnaissables, mais Ulrich savait d’expérience que les apparences étaient trompeuses, les extra-terrestres qui avaient construits ces vaisseaux étaient étrangers aux humains, et leurs créations aussi, et que le moindre contact les réduirait en poussière.

Les scientifiques ne comprenaient pas pourquoi ce qui ressemblait à de l’acier tout ce qu’il y avait de plus classique était devenu poreux et friable avec le temps. Les radiations n’expliquaient pas tout. Rien que ça était pour Ulrich le signe que ces extra-terrestres étaient incompréhensibles pour les humains. Jamais les humains n’auraient l’idée de construire des vaisseaux spatiaux biodégradables. Quoique biodégradables ne soit pas le bon terme…

Il soupira. Et c’était là-dessus, ce monceau de rebuts agglomérés qu’il crapahutait depuis des jours, en pure perte. Il n’y avait rien à récupérer ici. Tous les vaisseaux extra-terrestres avaient été réduits en miettes par les marées gravitationnelles.

Le chasseur de trésor s’efforça d’étouffer son inquiétude. Trop de missions blanches ces derniers temps. Son prestige déjà douteux s’en trouvait encore écorné. Sans parler de ses économies.

Il chercha des yeux la faible lueur métallique qu’était son vaisseau à cette distance. La Lanterne Magique aurait eu bien besoin de quelques réparations et de beaucoup de mises à jour, mais l’argent était rare pour Ulrich ces derniers temps.

Il se releva, ses articulations craquèrent dans le froid et il se remit en route. Il était venu jusque là, autant faire les choses à fond.

Au moins il était tranquille. Son radar grésillait paisiblement et sa radio restait silencieuse. Les anneaux avaient été désertés par les équipages de chasseurs de trésors, d’archéologues et de récupérateurs qui y grouillaient en temps normal.

Ça non plus ça ne faisait pas bonne impression auprès des clients, de travailler seul, et pourtant les clients qui trafiquaient avec des chasseurs de trésors, c’était pas la grande classe. Mais Ulrich préférait travailler seul. Pas par avarice, mais parce qu’il n’aimait pas la compagnie.

Même quand il revenait à Centrale, la station spatiale de deuxième zone où il avait ses habitudes, il repartait, non il fuyait, au bout de quelques semaines pour retourner dans les étoiles, chassé par la masse de corps bruyants qui s’y pressait.

Bien sûr, il ne pouvait pas dire aux clients qu’il préférait écouter les étoiles plutôt que les bavardages ineptes d’autres humains, alors il ricanait en disant que ça faisait moins de parts, et puis qu’il n’avait besoin de personne, bordel !

D’ailleurs c’était vrai. Jamais il n’avait regretté de travailler seul. Et aujourd’hui moins que jamais.

Avec un équipage, il aurait dû argumenter et discuter pour finir par devoir, comme tous les autres équipages, foncer sur TC-397, où un astroport extra-terrestre abandonné avait été découvert.

Ulrich gloussa. A peine la nouvelle connue, Centrale s’était vidée. Les couloirs de saut vers ce trou paumé devaient être bien encombrés.

Et tout ça pour quoi ? Ils allaient s’entretuer pour des coquilles vides.

Parce qu’Ulrich n’avait pas le moindre doute à ce sujet. Ils ne trouveraient rien. Tous les vestiges de ces satanés extra-terrestres étaient des coquilles vides. Dès qu’il avait vu les images des vaisseaux dressés sur le tarmac, le nez pointé vers le ciel, il les avait reconnus. C’était des vaisseaux des Anneliens, la civilisation qui avait construit l’armada des Anneaux. Et ces gens ne laissaient rien derrière eux. Les humains n’avaient même pas découvert leur monde d’origine. Et quel que soit l’endroit où ils étaient à présent, ils avaient tout emmené avec eux : écrits, archives, tout. Il avait fouillé beaucoup de leurs vaisseaux effilés et élégants. En vain.

Voilà pourquoi il avait tranquillement fini son repas de pseudo-sole, sous l’œil ébahi de Warren, le barman qui venait de voir tous ses autres habitués de battre pour quitter les lieux.

Ensuite il avait fait le plein de la Lanterne et il était parti pour les Anneaux.

Il n’était jamais venu.

En temps normal, c’était un coupe-gorge, sillonné par des équipages désespérés, prêts à vous étriper pour un stéréoscopeur. Ulrich avait prudemment gardé ses distances, et attendu. Et il avait sauté sur l’occasion qui se présentait.

Le radar pinga. Ulrich s’immobilisa. Un ping ne voulait rien dire en lui-même, il indiquait simplement un vide dans la masse de métal aggloméré des Anneaux. Mais quelque chose lui disait que c’était ce qu’il était venu chercher. Certes, son intuition lui disait cela pour la treizième fois depuis qu’il était arrivé sur les Anneaux, mais sa certitude ne faiblissait pas.

Il envoya un signal à son vaisseau. Le pilote automatique était assez sophistiqué pour rejoindre sa position en évitant les obstacles, mais pas beaucoup plus.

Ulrich avait souvent eu affaire à des Intelligences Artificielles, et elles se rapprochaient beaucoup trop des gens à son goût. Aussi son vaisseau en était-il dépourvu.

Il ancra son grappin dans le sol et commença à creuser délicatement.

Il s’agissait en fait de déblayer les morceaux de métal qui s’effritait entre ses doigts, sans générer un nuage de particules métalliques qui serait extrêmement visible pour n’importe quel vaisseau à proximité.

Il déploya les turbines de son pack dorsal. Un aspirateur monté en graine, en fait, qui aspiraient les particules avant qu’elles se dispersent.

Ulrich travaillait lentement, posément, mais régulièrement. Rien de ce qui avait été exposé au vide de l’espace n’avait de valeur. Le métal s’effritait, les circuits avaient disparu depuis longtemps. Mais très vite, on atteignait du métal intact, et son ping n’était qu’à deux mètres de profondeur.

L’espoir des chasseurs de trésors c’était de trouver une section de vaisseau intacte, ou une capsule de sauvetage. Un espoir fou, improbable, et même ridicule selon les xéno-archéologues qui avaient déserté le site depuis longtemps, mais auquel cédaient toujours les plus désespérés des chasseurs de trésors depuis cinq cents ans que les humains étaient tombés sur les Anneaux et qu’ils n’y avaient pas trouvé grand-chose.

Ulrich se souvenait encore de cette découverte. Il était un adolescent désoeuvré sur une Terre vieillissante, abandonnée par ses forces vives, aspirées par la conquête de l’espace, quand les premières images des Anneaux étaient arrivées.

Un convoi minier, en route pour installer un convertisseur d’hydrogène dans la haute atmosphère d’Horus était tombé dessus.

Bien sûr les sondes avaient détecté un contenu élevé en métal dans ces anneaux, mais aucune ne s’était approchée suffisamment pour en prendre des photos.

Une vague d’excitation avait secoué l’humanité toute entière. Les premiers vestiges extra-terrestres !

Il se rappelait son émerveillement, et son désir presque douloureux d’aller là-bas.

A partir de ce jour, il n’avait eu qu’un seul but : l’espace et les Anneaux. Il avait tout laissé derrière lui sans espoir de retour : famille, amis, foyer, tout. Pour les étoiles.

Et enfin, aujourd’hui, trente ans de temps subjectif et cinq cents ans de temps objectif plus tard, il était là.

Il atteignit une paroi qui ne s’effritait pas. Aussitôt il installa une bulle étanche autour de lui, une merveille de nanotechnologie capable de se déployer et de s’ancrer de manière autonome. Alors il s’arrêta pour reprendre son souffle et boire.

Il se remémora son arrivée à Centrale. Il avait fait le voyage long, en cryosommeil, parce qu’il n’avait pas les moyens de se payer une place sur un vaisseau de saut, pour venir travailler sur les docks de la station. Un voyage de deux cents ans. Des messages de sa famille, de ses amis, l’attendaient, des étrangers de plus en plus vieux, de plus en plus étrangers, qu’il n’avait pas regardés jusqu’au bout. A quoi bon ? Le passé était mort.

-Pas partout, murmura-t-il en s’approchant du mur de métal.

Il sonda la paroi. Il détectait une activité électrique résiduelle de l’autre côté. Il hésita. Se creuser un chemin au laser ? Cela lui répugnait.

Il reprit le déblayage de la paroi et découvrit peu à peu la forme familière d’une porte hexagonale des Anneliens, et juste à côté, un panneau de contrôle.

Il posa la main dessus.

La route avait été longue, bien sûr. Il avait dû travailler dur avant d’arriver à se faire engager dans un équipage, avec ses connaissances datées et les séquelles du long cryo-sommeil.

Son visage se déforma en une grimace amère. Un des nombreux détails dont on ne parlait pas aux recrues quand elles partaient. La longueur du cryo-sommeil n’était pas sans conséquences.

Il s’en sortait plutôt pas mal en fait. Il n’était pas un légume bavant qu’on aurait balancé dans un sas. Simplement la présence humaine le dérangeait, l’irritait comme une démangeaison incessante au milieu de son cerveau.

Il avait fait avec. Il n’avait pas le choix. Les services médicaux étaient plus que réduits sur Centrale, et hors de prix de toute façon. Il avait supporté la présence de ses coéquipiers parce qu’il le fallait, jusqu’à ce qu’ils touchent le gros lot.

Ulrich sourit. Ils avaient découvert une unité centrale fonctionnelle des Eridanis, sur une lune obscure, éloignée de tant de sauts qu’ils étaient partis pas loin de cent ans. Une mission difficile, où deux membres d’équipages étaient morts dans des accidents idiots, mais ils étaient devenus très riches.

Avec sa part, Ulrich avait acheté la Lanterne et il avait continué sa route. Seul.

La porte commença à se soulever en grinçant. Une lumière bleutée vacilla puis se renforça et une série de sons graves, presque inaudibles, s’éleva.

Bien sûr les Eridanis étaient bien mieux connus que les Anneliens. D’eux, on ne savait rien. On n’était même pas sûrs de savoir à quoi ils ressemblaient. Les reconstitutions à partir des quelques dépouilles découvertes restaient des conjectures.

Ulrich entra. L’atmosphère contenait des niveaux élevés de gaz rares.

C’était une capsule de sauvetage, comme il en avait déjà vu, mais elle n’était pas vide.

Trois cuves de cryo-sommeil étaient dressées contre les parois. Il s’approcha.

La première était vide.

La deuxième contenait un cadavre, momifié par le temps.

La troisième fonctionnait encore.

L’excitation lui obscurcit la vue un instant. La créature était vivante, endormie, dans une capsule de sauvetage intacte. Le tout valait des millions !

La série de sons retentit de nouveau, puis encore et encore.

Ulrich observa la créature. Elle était humanoïde, très proche des reconstitutions, et très différente aussi. Elle était très massive, avec une grosse tête et un corps robuste, et de tous petits yeux. Sa peau était curieuse, épaisse, rugueuse, et grisâtre.

Les sons retentirent à nouveau. Ulrich secoua la tête. Ces sons étaient étranges. Ils semblaient apparaître directement dans son cerveau.

Il repensa à ses coéquipiers. Ils en seraient verts de jalousie. Il sourit. S’il s’était souvenu de leurs noms, bien sûr. A présent il se souvenait à peine de ses parents. Et il était bien incapable de dire si les femmes avec qui il couchait sur Centrale étaient les mêmes ou d’autres.

Les sons continuaient se lui parvenir. Il les comprenait presque. Il frissonna.

Est-ce que l’Intelligence Artificielle de la capsule essayait de communiquer avec lui ?

Il perçut nettement une réponse affirmative.

Ulrich recula d’un bond, se précipita hors de la capsule et referma la porte.

Les sons disparurent.

Il reprit son souffle et se mit à rire. Ce n’était pas des millions qu’il allait gagner, mais des milliards. Une IA télépathe !

Le chasseur de trésor escalada la paroi du trou qu’il avait creusé. La Lanterne Magique était là, en vol stationnaire au-dessus du trou. Il monta à bord, ôta sa combinaison, avala une ration de survie et s’installa aux commandes de l’araignée.

Les pattes grêles de l’appareil dégagèrent la capsule avec délicatesse et se refermèrent autour, l’enserrant solidement sous le ventre du vaisseau. Pas question qu’il fasse entrer cette saloperie dans son vaisseau.

Ulrich s’installa au poste de pilotage et s’éloigna des Anneaux. Oui, il pourrait revendre ça très cher. Assez pour mettre la Lanterne à jour. Assez pour pouvoir vivre confortablement jusqu’à la fin de ses jours, quoi que ça veuille dire aujourd’hui.

Bien sûr il faudrait qu’il se dépêche de quitter les Planètes Unies avant que les IA télépathes ne se répandent, mais l’espace était vaste pour qui ne cherchait pas la compagnie.

Après tout, il aurait toujours les étoiles.

 


4 responses to “Le chasseur de trésor

Laisser un commentaire